The translation business

Lumière sur les métiers de la traduction

Ces dernières années, le monde de la traduction aura, pour une fois, bien occupé le devant de la scène. Citons la sortie du film de Regis Roinsard, Les Traducteurs (2018). Ou encore la polémique engendrée par le choix d’une autrice blanche, la Néerlandaise Marieke Lucas Rijneveld, pour traduire le poème d’Amanda Gorman, « The Hill We Climb », récité à l’occasion de la cérémonie d’investiture de Joe Biden, et qui n’a pas fini de faire couler de l’encre. On peut dire que la sphère de la traduction politique américaine aura d’ailleurs été particulièrement mouvementée ces derniers temps. Les traducteurs américains auront peiné à progresser sur ce qui s’est apparenté à un véritable chemin de croix avec, au premier plan, j’ai nommé Donald Trump.

Trump, ou le cauchemar des traducteurs-interprètes

Traduire Trump et mourir. Tout au long de son mandat tonitruant (dans « tonitruant », il y a… « toni »), la presse a mis en avant la souffrance des traducteurs-interprètes de l’ex-président des États-Unis, contraints de faire des miracles avec un contenu dénué de sens et reflétant une pauvreté d’esprit désolante, fortement contrasté avec le discours porteur, la pensée structurée et le langage ciselé de son prédécesseur, le président Barack Obama.

Ceci vaut à l’oral, comme à l’écrit. Mais l’exercice se complique quand il prend une forme orale, puisqu’il enlève le temps de la réflexion, étant donné qu’il se déroule en direct. On se rappellera de Mouammar Kadafi, qui avait épuisé son propre interprète au bout de 75 min de torture auditive à l’occasion d’un discours fleuve devant l’Assemblée générale des Nations unies en 2009. Les discours des chefs d’État ne doivent en principe pas excéder 15 minutes. Le traducteur du dirigeant libyen, après s’être écrié « Je n’en peux plus » en arabe et en direct, avait jeté l’éponge. Une première dans l’histoire de l’interprétariat. Le responsable de la section arabe des interprètes de l’ONU, Rasha Ajalyaqee, avait volé au secours de son collègue pour assurer les vingt dernières minutes de traduction, ce qui lui a valu un jour de repos.

Mais vous traduisez quoi, en fait ?

La question (souvent la première qu’on me pose) en dit long. Lorsqu’on me demande si je ne galère pas trop dans la traduction, si j’ai déjà traduit des gens célèbres, travaillé dans l’hémicycle de l’ONU, ou que je présente mon métier de traductrice à de nouveaux prospects ou à de nouvelles connaissances, mes interlocuteurs sont souvent étonnés d’apprendre que je ne travaille pas, ou très peu, à l’oral.

Pour la plupart des gens, la traduction est un métier un peu flou, dont les limites ne sont pas bien définies et, en fin de compte, assez méconnu. Ce qu’il faut savoir, c’est que LES métiers de la traduction sont assez variés. On peut ainsi être traducteur, interprète, travailler pour des maisons d’édition (traduction littéraire), des entreprises (traduction technique), ou encore dans la sphère audiovisuelle (sous-titrage et doublage). Ces catégories sont perméables, donc il est possible de toucher un peu à tout, selon ses qualifications. Moult possibilités s’offrent à soi !

Cet article est l’occasion de mettre en lumière certains de ces acteurs de l’ombre, les principales facettes de la traduction et ce qui les différencie. On peut dire que les métiers de la traduction sont très proches, mais somme toute assez différents, puisqu’ils ne s’effectuent pas dans les mêmes conditions de travail et ne font donc pas appel aux mêmes compétences.

La traduction écrite

Le traducteur littéraire ou technique traduit du contenu écrit, depuis une ou plusieurs langues « sources » et vers une langue « cible », sa langue maternelle ou « première » s’il baigne dans un contexte plurilingue, soit dans la langue qu’il maîtrise le mieux, qu’il utilise au quotidien et dont il se sent le plus proche. Ceci n’est en aucun cas une obligation légale, mais plutôt un gage de qualité, comme recommandé par la Société française des traducteurs, la SFT.

Pour faire simple, le traducteur littéraire travaille assez souvent avec des maisons d’édition qui vont (normalement) se charger des choix d’édition. Le traducteur technique va travailler pour ses clients soit via des agences de traduction, ou directement pour des entreprises ou des particuliers, dans des domaines a priori moins littéraires et plus techniques, mais l’un n’exclut pas l’autre.

Le traducteur se forme dans plusieurs domaines de spécialisation en effectuant des recherches documentaires et terminologiques dans le cadre de ses missions, idéalement en lien avec ses clients. Son travail peut empiéter sur celui du rédacteur, car il doit parfois rendre le contenu plus compréhensible pour le lecteur en l’adaptant d’un point de vue linguistique et culturel.

Reprenons l’exemple de l’ex-président des États-Unis. Bérengère Viennot, l’une des traductrices de Trump et autrice de La Langue de Trump, a analysé le langage de cet ovni, et comment elle s’est retrouvée confrontée à un exercice plutôt déroutant. Dans l’un de ses articles, elle rappelle que les traducteurs travaillent avec des pensées, au-delà de simples mots. En ce sens, traduire Obama, c’est du petit lait pour les linguistes, ou le petit Jésus en culotte de velours, pour citer ma grand-mère. La pensée est claire, structurée et logique, le langage riche et précis, teinté d’éloquence, de finesse et d’autodérision. La pensée de Trump, plus creuse et nébuleuse, est paradoxalement bien plus complexe à rendre. Un exercice auquel Bérengère a dû se faire. Comme elle l’explique, ce n’est pas tant la compréhension qui pose problème (l’ex-président ne maniait pas le second degré, il n’utilisait pas de références culturelles et possédait le vocabulaire d’un écolier de 5e), c’est le rendu de la pensée creuse : un langage restreint qui reflète une pauvreté de pensée, soit dit en passant, alarmante et dangereuse. Bérangère examine comment Trump se raccroche aux propos des journalistes et utilise toujours les mêmes mots en boucle (pour citer ses adjectifs préférés : great, tremendous, incredible et strong, sans oublier les incontournables « good » et « bad »). Un discours qui aura eu pour effet (voulu ou non) de toucher un électorat plus vaste, englobant l’Américain simple.

L’interprétation : la traduction orale

L’interprète, quant à lui, effectue des missions à l’oral. L’interprétation (ou « interprétariat ») peut être simultanée (chuchotée ou non), consécutive, de liaison (en petit nombre, dans un cadre privé ou professionnel, sur les salons, etc.). Les interventions plus formelles requièrent l’utilisation d’une configuration particulière (notamment lorsqu’elles sont multilingues) : mise en place de cabines dans lesquels les interprètes sont « isolés » avec un casque-micro (cf. photo ci-dessus, comme à l’ONU) et utilisation de casques en salle pour les auditeurs, avec possibilité de changer de canal de langue comme on changerait de chaîne de radio. L’interprétation est un exercice qui nécessite une bonne mémoire et une certaine facilité pour passer d’une langue à l’autre, ainsi qu’une bonne résistance à la pression. La charge cognitive étant assez importante, l’intervention est en général limitée à une vingtaine de minutes. S’il s’agit d’une intervention plus longue, plusieurs interprètes se relaient toutes les 20-30 minutes (cf. Kadafi).

L’interprète effectue, quand il en a le temps et s’il dispose d’informations sur sa mission (ce qui n’est pas tout le temps le cas), des recherches préalables sur le domaine concerné, notamment terminologiques. Comme c’est le cas pour le traducteur, l’interprète ne se contente pas seulement de traduire ce qui se dit, mais il doit également le rendre intelligible et compréhensible aux deux parties (correction grammaticale, adaptation culturelle), ce qui implique donc de faire certains choix en direct (et ce qui, dit en passant, relève un peu le niveau des discours de Trump, au moins du point de vue de la forme).

La traduction assermentée

Le traducteur-interprète peut cumuler les deux types de missions, même si cela est plus rare. Il peut d’ailleurs être assermenté, c’est-à-dire dépendre d’un tribunal et être appelé à apporter son expertise dans un cadre légal (en traduisant des documents et en servant d’interprète dans le cadre d’un procès ou au commissariat, par exemple). Il peut ainsi être amené à faciliter la communication entre un prévenu et la police ou encore traduire des documents officiels à présenter dans un pays spécifique, comme des documents d’état-civil ou des diplômes et certificats portant la mention « traduction certifiée conforme à l’original ». Il est donc considéré comme un auxiliaire de justice, au même titre que les experts judiciaires.

C’est presque un métier à part entière. M’étant renseignée sur cette branche auprès d’un professeur de Rennes 2, qui est également traducteur assermenté, celui-ci me confiait la beauté et les difficultés inhérentes à ce métier axé sur l’humain. Comment il était accueilli comme le messie de part et d’autre en tant que facilitateur de la communication, notamment. Le fait de se retrouver au plus près d’histoires humaines bouleversantes l’avait profondément marqué (il me racontait sa convocation à une reconstitution dans le cadre d’une affaire de meurtre), tout comme le fait de participer (sans le vouloir) à l’issue d’une décision de justice. Paradoxalement, dans le cadre légal, on demande à l’interprète de ne pas prendre parti, de ne pas s’identifier aux personnes concernées, tout en se mettant pourtant dans leur peau (en restituant fidèlement leur intonation, par exemple). Exercice qui peut s’avérer nerveusement éprouvant, comme me l’a confirmé une collègue et amie, après une première mission (tendue) en commissariat.

La traduction audiovisuelle

Selon sa formation, le traducteur peut également être amené à travailler dans la traduction audiovisuelle pour créer des sous-titres de contenus de type films, séries, vidéos d’entreprise, documentaires, conférences, etc. Ce type de traduction se situe un peu à la croisée de la traduction orale et de la traduction écrite, puisqu’il s’agit de retranscrire un discours oral à l’écrit (même si la traduction se base bien souvent sur une transcription du contenu source, soit le script).

D’un point de vue technique, et en plus de la correction linguistique habituelle, le traducteur doit respecter différentes règles pour créer de bons sous-titres (c’est-à-dire des sous-titres aussi peu intrusifs que possible, qui soient lisibles par les spectateurs sans que ces derniers manquent de temps pour les lire ou qu’ils aient besoin de les relire), le nombre de caractères maximum par ligne et par sous-titre, la durée d’affichage et la durée entre chaque sous-titre. Ces normes sont généralement spécifiées par le client, la boîte de production, ou plus largement par les normes de l’industrie de la traduction audiovisuelle.

Selon ce qu’on lui demande de faire (et sa formation, ou la présence ou non d’un technicien sur le projet), le traducteur doit aussi assurer la synchronisation des sous-titres, soit s’assurer qu’ils collent bien à l’audio (qu’ils démarrent en même temps que la personne qui se met à parler, ne passent pas le plan, etc.). Pour faire ce travail, le traducteur doit maîtriser les logiciels de sous-titrage comme Subtitle Edit et Caption Hub.

Tout comme ses homologues de la traduction écrite et orale, en sous-titrage, il doit adapter la réalité qui est décrite, sans en enlever l’aspect pittoresque. Comment rendre l’équivalence concernant le système scolaire, les grades de la police ou de l’armée pour un public français ? Je pense à une série policière américaine qui aura nécessité énormément de recherches pour traduire les termes juridiques dont elle regorgeait, par exemple « man 1 », « man 2 » (comprendre « Manslaughter in the first degree » et « Manslaughter in the second degree », rendus en français respectivement par « homicide volontaire » et « homicide involontaire »). Plus difficile, comment traduire une référence culturelle qui n’a pas d’équivalent en français et s’assurer qu’elle sera accessible au public ? Comment rendre l’humour ? Tous ces choix vont généralement dépendre des consignes client ou nécessiter d’être définis assez rapidement pour assurer la cohérence de la traduction (surtout s’il s’agit d’une série dont les épisodes sont répartis entre différents traducteurs par contrainte de temps, comme c’est bien souvent le cas). C’est un travail passionnant !

Les petites mains de la communication interculturelle

En tout cas, quel que ce soit le type de traduction effectuée par le traducteur : dans toutes ses déclinaisons, celui-ci est jugé d’après sa capacité à se faire oublier. Mieux vaut donc que son travail ne sente pas la traduction à plein nez et que la patte du traducteur ne se fasse pas remarquer !

Celui qui s’est bien fait remarquer, en revanche, c’est Thamsanqa Jantjie. Ce Sud-Africain avait réussi à se faire passer pour l’interprète de langue des signes de Barack Obama lors de la cérémonie d‘hommage à Nelson Mandela le 10 décembre 2013. Prestation singulière et, somme toute, assez alarmante. L’homme, ayant gesticulé de manière incompréhensible pendant un certain temps, s’était ensuite rendu dans un hôpital psychiatrique près de Johannesburg, en se déclarant victime d’une crise de schizophrénie. « J’ai vu des anges tomber sur le stade et j’ai entendu des voix, j’ai perdu ma concentration ». Véritable pathologie mentale, besoin d’attention ou court-circuit après de longues années de surcharge cognitive ?

Liens

https://www.leparisien.fr/international/do-you-speak-trump-le-chemin-de-croix-des-traducteurs-du-president-americain-22-10-2020-8404469.php

http://www.slate.fr/story/131087/traduire-trump-mourir-un-peu

https://www.nouvelobs.com/monde/20090925.OBS2520/a-l-onu-kadhafi-epuise-jusqu-a-son-propre-traducteur.html

https://www.liberation.fr/planete/2013/12/19/mandela-le-faux-interprete-en-langue-des-signes-admis-en-hopital-psychiatrique_967711